Chronobiologie et TMS : quelle causalité ?
De multiples facteurs influencent l’apparition des troubles musculosquelettiques (TMS) : contraintes biomécaniques, facteurs organisationnels, environnementaux, psychosociaux… mais aussi des facteurs individuels, parfois moins visibles.
Parmi eux, les rythmes biologiques et plus globalement la chronobiologie, suscitent un intérêt croissant depuis quelques années dans la compréhension des mécanismes de fatigue, de récupération et de vulnérabilité du système musculosquelettique.
Alors, existe-t-il une causalité entre rythme biologique perturbé et apparition des TMS ? Quels mécanismes peuvent l’expliquer, et quelles sont les limites actuelles des connaissances ? Faisons le point ensemble sur cette problématique et sur ce que la science permet (ou ne permet pas encore) d’affirmer à ce sujet !
La chronobiologie : un rappel essentiel
La chronobiologie, du grec chronos (temps), correspond à l’étude des rythmes biologiques dans l’organisme. Chez l’être humain, le plus connu est le rythme circadien, un cycle d’environ 24 heures qui régule de nombreuses fonctions physiologiques, comme le sommeil, la pression artérielle ou encore la température corporelle.
En bref, presque toutes les fonctions biologiques sont soumises à ce rythme circadien, qui est lié à notre horloge interne, située dans l’hypothalamus et influencée par la lumière.
Expression du rythme circadien

Crédit : Wikipédia
Les TMS : Rappel clé
Les troubles musculosquelettiques (TMS) sont des maladies multifactorielles qui recouvrent un large ensemble d’affections au niveau articulaire : muscles, tendons, nerfs et articulations. L’apparition de ces troubles sont souvent liés à des activités répétitives, des postures contraignantes ou des efforts physiques prolongés.
Ces pathologies sont un enjeu majeur en santé au travail : les TMS représentaient près de 90 % des maladies professionnelles en 2024 en France.
En quelques chiffres :
- Première cause de maladie professionnelle en France et dans de nombreux pays.
- Près de 60 % des femmes et plus de 50 % hommes déclarent des douleurs liées aux TMS du dos ou du membre supérieur.
- À l’échelle mondiale, 494 millions de personnes souffraient d’autres TMS en 2020, soit une augmentation de 123,4 % du nombre total de cas par rapport aux 221 millions recensés en 1990.

Quel impact de la chronobiologie sur l’apparition des TMS ?
La recherche aujourd’hui reste encore limitée : à ce jour, aucune étude ne démontre un lien causal direct entre perturbations circadiennes et TMS. En revanche, plusieurs mécanismes physiologiques suggèrent des voies d’amplification possibles, mais non déterminantes.
Première voie indirecte → Rythmes circadiens et récupération musculaire
Les muscles, les tendons, les os et le cartilage possèdent leurs propres horloges biologiques, chargées de synchroniser les cycles de réparation et de régénération :
→ la force musculaire n’est pas constante selon l’heure de la journée (pics de performance)
→ les capacités de réparation tissulaire suivent des cycles,
→ la production de collagène et la régénération tendineuse sont plus actives la nuit.
Dès lors que le rythme circadien est perturbé, la récupération musculaire devient moins efficace, ce qui peut augmenter les micros-lésions, les douleurs, et plus globalement la sensibilité aux mouvements et efforts fournis.
Deuxième voie indirecte → Sommeil dégradé = réparation tissulaire altérée
Le sommeil, pilier de la chronobiologie, joue un rôle majeur dans la modulation de la douleur, la régulation du système nerveux et la récupération musculaire.
Des troubles du sommeil ou des perturbations jour-nuit réduisent la sécrétion d’hormones essentielles à la récupération musculaire (ex. hormone de croissance), les tissus se réparent moins bien et l’inflammation peut augmenter.
Un sommeil altéré constitue ainsi un facteur aggravant qui peut intensifier la perception de la douleur et réduire la récupération musculaire, augmentant ainsi la vulnérabilité aux TMS.
Troisième voie indirecte → Fatigue cognitive et postures
Un désalignement circadien altère :
→ la vigilance,
→ la précision motrice,
→ le tonus musculaire,
→ la concentration.
Dans le milieu professionnel, cela peut se traduire par des postures inadéquates, des gestes moins précis, des compensations posturales et une fatigue qui s’installe plus rapidement. Ces comportements augmentent la charge mécanique réelle sur les tissus, et donc le risque de TMS dans les activités répétitives ou exigeant une posture prolongée.
À retenir
PERTURBATION DU RYTHME CIRCADIEN
↓
Sommeil dégradé + récupération musculaire réduite + fatigue + inflammation
↓
Vulnérabilité potentiellement augmentée aux TMS
Le cas des travailleurs avec un rythme circadien décalé
Les mécanismes décrits précédemment deviennent particulièrement pertinents lorsqu’on observe les populations dont le rythme circadien est régulièrement désynchronisé. C’est notamment le cas des travailleurs de nuit, du soir, en horaires alternants, en rotations rapides, ou exposés à des variations irrégulières d’horaires.
Le travail de nuit ou en horaires tournants expose l’organisme à une inversion partielle ou totale du cycle jour/nuit. Cela entraîne : une baisse de la qualité du sommeil, des cycles de récupération irréguliers,ou encore une désorganisation hormonale (mélatonine, cortisol).
Ces perturbations chroniques créent un contexte propice à une fatigue plus rapide, à une vigilance réduite en fin de poste, et à des compensations motrices accrues : on peut alors admettre une vulnérabilité amplifiée, qui pèse sur les contraintes physiques déjà présentes dans les métiers concernés.
Pour conclure…
La désynchronisation circadienne fragilise certains mécanismes essentiels : qualité du sommeil, récupération musculaire, régulation hormonale, vigilance et précision motrice… Ces rythmes biologiques constituent donc des facteurs de risque complémentaires pour les TMS.
L’intégrer dans l’analyse des risques peut donc être un plus, à condition de ne pas surestimer son poids par rapport aux autres facteurs de risques – qui eux sont centraux.
Quelques recommandations…
- Agir sur les rythmes de travail : favoriser les horaires réguliers, limiter le changement trop fréquent. Privilégier les rotations dans le sens horaire (matin → après-midi → nuit.)
- Optimiser le travail de nuit : pauses régulières, zones de repos, renforcer la vigilance en période de creux circadien.
- Renforcer la récupération : en stabilisant du mieux que possible l’hygiène de vie (sommeil, alimentation, activité physique).
- Adapter la charge physique en tenant compte du facteur chronobiologique : réduire les charges ou optimiser les outils aux moments où les capacités musculaires sont physiologiquement plus basses.
- Meilleure prise en compte de la dimension psychosociale : le dérèglement circadien amplifie la sensibilité au stress : Renforcer le soutien managérial, les marges de manœuvre, et la prévisibilité des horaires.
- Former les équipes : aux notions de prévention, gestes et postures… Rappeler que la prévention primaire reste la priorité, mais que la gestion des rythmes est un levier complémentaire.
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Sources :
Ameli – Comprendre les troubles musculo-squelettiques
Apivia – La chronobiologie : https://www.apivia.fr/actualites/toute-l-actu/la-chronobiologie/
Gill, Tiffany K et al. – Fardeau mondial, régional et national des autres troubles musculo-squelettiques, 1990-2020, et projections jusqu’en 2050 : une analyse systématique de l’étude Global Burden of Disease Study 2021 https://www.thelancet.com/journals/lanrhe/article/PIIS2665-9913(23)00232-1/fulltext
Juliana N, Azmi L, Effendy NM, Mohd Fahmi Teng NI, Abu IF, Abu Bakar NN, Azmani S, Yazit NAA, Kadiman S, Das S. – Effet des perturbations du rythme circadien sur le système musculo-squelettique humain et importance des stratégies nutritionnelles : https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC9920183/#sec3-nutrients-15-00734



