Les TMS et le secteur de la maroquinerie
Les risques physiques de TMS résultent de facteurs comme les gestes répétitifs, le travail statique, les efforts excessifs, les positions articulaires extrêmes, le port de charges lourdes, etc.
Les TMS sont causés par un déséquilibre entre les capacités physiques du corps et les exigences ainsi que les contraintes auxquelles il est soumis.
Dans cet article, nous nous pencherons sur les TMS dans le secteur de la maroquinerie.
Nous sommes partis à la rencontre de Léopold, 44 ans, ancien artisan en maroquinerie ayant travaillé pendant près d’un an dans un atelier de maroquinerie.
Nous avons souhaité le rencontrer afin de comprendre plus en profondeur les contraintes de ce métier, la réalité du terrain ainsi que les risques physiques de TMS associés.
Témoignage spécial – Rencontre avec un ancien artisan en atelier de maroquinerie
Quel est votre parcours professionnel ?
“Mon parcours professionnel est très large, j’ai débuté par l’hôtellerie/restauration notamment la pâtisserie. Par la suite, je me suis réorienté vers l’artisanat dans l’encadrement d’art puis j’ai effectué quelques emplois dans l’alimentaire. En décembre 2019, j’ai souhaité me lancer dans l’ouverture d’une cave à bière. Malheureusement, le COVID n’a pas aidé à pérenniser mon projet.
Je me suis donc retrouvé chez un maroquinier, sous-traitant d’une grande marque de sacs à main de luxe. C’était un travail minutieux.”
Selon vous, la notion de TMS est-elle abordée dans le milieu de la maroquinerie (et de la mode en général) en interne et comment ?
“Oui en effet. Ils sont conscients des risques de TMS. Dans cet atelier, nous avions des “éveils musculaires”, par exemple. C’est plutôt en termes de réactivité où selon moi, il y a un problème.”
Quels sont les principaux facteurs de risque de TMS pour les artisans en maroquinerie et comment peuvent-ils/elles les prévenir ?
“Dans l’atelier où je travaillais, on retrouve cette problématique de tâches minutieuses et répétées – selon les postes de travail. La cadence demandée ne convient également pas à tout le monde. Il y a certaines personnes qui vont subir cette pression de temps et donc, potentiellement mal exécuter les gestes ; et c’est à ce moment que, selon moi, des douleurs peuvent apparaître.”
Quel poste de travail au sein de l’atelier est le plus contraignant en termes de TMS ? Quelles sont les postures (ou mouvements) les plus contraignants ?
“Selon moi, ce serait le poste de montage car c’est beaucoup de minutie. Il y avait un geste de “pince” avec les doigts qui demande de la précision et de la force pour trouer le cuir. Par exemple, sur ce poste, nous ne pouvons pas enfoncer notre alène pour pré-percer le trou afin faciliter le passage de l’aiguille et du fil car cela influencerait l’aspect esthétique et les directives de la marque. Donc nous étions contraints de forcer sur nos doigts pour enfoncer l’aiguille mais pas trop non plus pour ne pas nous blesser de l’autre côté. Et inversement, lorsqu’il faut retirer l’aiguille, il est nécessaire de “pincer” très fort l’aiguille avec ses doigts.
Ce sont des gestes extrêmement douloureux au fur et à mesure du temps ».
Avez-vous été sensibilisé aux risques TMS au sein de votre équipe ? Que pensez-vous des dispositifs mis en place (de manière générale) pour lutter contre les TMS ?
« La prévention est là, mais la théorie est bien loin de la pratique. Il est difficile de respecter les gestes demandés dans un temps imposé.
Après plusieurs remarques des salariés, l’entreprise a pris connaissance de certains besoins et a donc notamment commencé à s’intéresser aux exosquelettes.”
Au fil des années, avez-vous remarqué que les TMS sont devenus un sujet plus présent ?
“Oui clairement. Les entreprises en prennent conscience notamment en termes de productivité. Ils se rendent compte que les arrêts de travail peuvent être évités. Il y a du progrès à ce niveau-là mais il est nécessaire que ce soit bien appliqué.”
Utilisez-vous des équipements spécifiques ou des technologies pour réduire les risques de TMS ?
“Nous avions, par exemple, des tapis “anti-fatigue” pour des postes de travail où il fallait rester debout comme le ponçage du cuir. Malheureusement, ils étaient trop courts et certaines personnes risquaient de trébucher dessus – ce qui pouvait devenir très dangereux. Finalement du matériel ergonomique mal installé ou pas adapté peut desservir le but de base : le confort de l’opérateur.
Le travail est d’une telle minutie avec une cadence importante que nous avions également des postes de travail réglables au niveau de la hauteur. Cela apportait un confort car nous avions la possibilité de travailler debout ou assis selon nos besoins.”
Travaillez-vous avec des experts externes (ergonomes, médecins du travail, etc.) pour améliorer vos pratiques en matière de prévention des TMS ?
“En effet, il y avait une personne chargée de la prévention des risques physiques TMS. Malheureusement, j’ai constaté peu de réactivité et d’engagement de sa part. Si l’entreprise avait écouté plus attentivement les besoins des salariés, la productivité et la motivation auraient grandement augmenté.
Il y avait également des secouristes SST sur place pour la sécurité des salariés.”
Voyez-vous des tendances et/ou innovations émergentes qui pourraient aider à prévenir les TMS dans le secteur de la maroquinerie ?
“Par rapport à la minutie du travail, les exosquelettes pourrait être une solution, par exemple. Ils étaient en train de les mettre en place lors de mon départ. Cette technologie peut être très utile notamment lors du montage et des mouvements d’aiguilles (cf. questions précédentes). Nous avions également des établis réglables qui apportaient un confort de plus pour les salariés.
Selon la taille de l’entreprise, ces technologies restent un investissement.”
Pouvez-vous partager des exemples concrets de cas de TMS dans le milieu de la maroquinerie que vous avez rencontrés, ainsi que les leçons apprises et les mesures prises pour y remédier ?
“Les TMS les plus fréquents restent le syndrome du canal carpien, les tendinites au niveau des épaules et j’ai également eu un collègue qui souffrait au niveau des coudes.
Le fait que le travail nécessitait l’utilisation quasi systématique des aiguilles, cela entraînait des douleurs à ce niveau-là.
J’avais une de mes collègues qui était piqueuse, donc un poste assez contraignant. Elle était sur des sacs arrondis qui demandaient un mouvement de pivotement. Cette manipulation était assez physique. En quelques mois, elle s’est retrouvée complètement bloquée des deux bras – alors que c’était une femme plutôt sportive et jeune.
L’entreprise a rendu les éveils musculaires obligatoires mais c’est tout. Certains problèmes n’étaient pas particulièrement remontés en haut.”
Y a-t-il des périodes de travail plus intenses/chargées qui favorisent l’apparition des douleurs ? Comment s’organise l’environnement de travail en maroquinerie (pauses régulières ou non ? Équipement adapté ? …) ?
“Il n’y avait pas vraiment de périodes plus intenses que d’autres. Tout simplement car les sacs que nous produisions étaient déjà vendus. Les quotas pouvaient légèrement changer mais globalement notre production n’était pas touchée par des périodes plus chargées.
Il n’y a pas de saisonnalité particulière mais selon les demandes nous pouvions prendre un peu plus de temps pour la fabrication des sacs, et donc cela était moins douloureux au niveau des TMS.”
Des conseils ou des remédiations que vous aimeriez partager auprès d’éventuels fabricants de maroquinerie et/ou employeurs qui pourraient nous lire sur cette question de prévention des TMS ?
“De manière générale, l’écoute et la réactivité aux besoins des salariés. Il est primordial de prêter attention aux salariés, à leur douleur. Cela influe grandement sur leur motivation et la possibilité qu’ils restent, ou non, dans une entreprise.
Il y a encore trop d’entreprises qui ont un mépris pour la douleur et manquent d’empathie. Nous pouvons comprendre les problèmes de budget, mais cela n’empêche pas d’être à l’écoute.
Au niveau de la maroquinerie, et selon mon expérience, il serait envisageable de potentiellement revoir les cahiers des charges afin d’améliorer le bien-être des salariés sans entraver la qualité du produit.”
Conclusion
Tout d’abord, nous souhaitons remercier Léopold pour le temps qu’il a consacré à répondre à nos questions et à partager son expérience.
Au cours de notre échange, il est apparu que le manque de sensibilisation des équipes constitue un facteur clé dans l’augmentation des risques de TMS, quelle que soit leur nature. Une prise de conscience plus globale est également nécessaire pour entamer des démarches de prévention de TMS.
L’aspect minutieux et la cadence du travail d’artisan en maroquinerie accroît le risque de TMS et la formation des salariés – dans cet exemple – n’est pas assez poussée. Il est crucial de former et sensibiliser les équipes afin de minimiser les risques.