Les troubles musculosquelettiques chez les sages-femmes

Dans l’imaginaire collectif, la profession de sage-femme évoque avant tout l’accompagnement bienveillant de la femme et de la naissance. Pourtant, derrière cette vocation se cache une réalité plus difficile. Un quotidien exigeant, rythmé par des gardes prolongées, des postures contraignantes et une charge physique et mentale intense…

Soulever, s’incliner, maintenir des positions inconfortables pendant de longues heures… Autant de gestes répétitifs qui, à terme, usent le corps et favorisent l’apparition des troubles musculosquelettiques (TMS). Ces douleurs, d’abord anodines, peuvent devenir chroniques et impacter la santé et la carrière de ces professionnelles de l’ombre. Pourtant, les TMS chez les sages-femmes restent un sujet peu documenté,  souvent relégué au second plan face à d’autres problématiques de santé au travail.

À travers cette réflexion, nous avons décidé de mettre en lumière ce métier passion et les risques associés.

Sage-femme, une profession passion

Bien plus que des accompagnantes à la naissance, les sages-femmes – ou maïeuticiens pour les hommes – exercent une véritable mission médicale. 

Elles assurent le suivi gynécologique et physiologique des femmes tout au long de leur vie, de la contraception au suivi de grossesse, en passant par des compétences en vaccination, orthogénie (IVG) ou PMA. Elles jouent également un rôle clé dans la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes. En France, elles réalisent plus de 80 % des accouchements, garantissant à la fois la sécurité des patientes et celle des nouveau-nés.

Cette polyvalence s’accompagne d’une grande diversité des modes d’exercice. En janvier 2023, on recensait 24 354 sages-femmes en France, dont seulement 2,8 % des praticiens sont des hommes.

Plus de la moitié (57 %) exerce en milieu hospitalier, où les conditions de travail sont particulièrement éprouvantes : charge de travail lourde, effectifs parfois insuffisants, urgences imprévisibles et horaires décalés.

25 % ont choisi l’exercice libéral, qui présente d’autres défis, notamment l’isolement professionnel et la nécessité de gérer leur propre cabinet. Enfin, un plus faible pourcentage de sages-femmes travaille en PMI (Protection Maternelle et Infantile) ou dans la recherche et l’enseignement.

 

Ces contraintes, qu’elles soient liées à l’environnement hospitalier ou à l’exercice libéral, ont un impact direct sur la santé physique des praticiennes.

Un environnement de travail sous tension

L’environnement de travail des sages-femmes, qu’il soit hospitalier ou libéral, est marqué par des exigences organisationnelles, des gestes répétitifs et des conditions physiques parfois éprouvantes. 

SALLE D’ACCOUCHEMENT 

La salle d’accouchement est un lieu où l’espace et l’ergonomie ne sont pas toujours optimisés pour préserver la santé des soignants. Le mobilier médical, conçu pour répondre aux besoins des patientes, ne prend que rarement en compte ceux des professionnels de santé.

Les accouchements eux-mêmes nécessitent des postures contraignantes où la sage-femme doit adapter sa position en fonction des besoins de la patiente : accroupies, penchées ou exerçant des mouvements de pression ou statiques sur une longue durée. 

Dans d’autres cas, la gestion d’un accouchement en urgence ou d’une situation pathologique (hémorragie, souffrance fœtale) impose des gestes rapides et répétitifs, augmentant encore la pression sur le corps.

RYTHME DE TRAVAIL 

Le métier de sage-femme impose un rythme de travail intense. Il nécessite une endurance et une résistance physique et psychique accrueEn milieu hospitalier, les horaires s’étendent fréquemment sur 12 heures d’affilée (voire plus !), avec des gardes de nuit, des week-ends travaillés et des enchaînements de journées sans récupération suffisante. Cette fatigue affecte la capacité du corps à récupérer, favorisant l’apparition de douleurs musculaires et articulaires.

Au-delà de l’impact physique, la profession est soumise à une forte charge mentale. Les sages-femmes doivent jongler entre plusieurs responsabilités :

 

  • Garantir la sécurité et le bien-être des patientes et des nouveau-nés, souvent dans des situations d’urgence.

 

  • Prendre des décisions médicales rapidement, parfois sous une pression intense.

 

  • Gérer les émotions, tant les leurs que celles des patientes et de leur entourage, en particulier lors de complications ou d’annonces difficiles.

 

  • Maintenir une écoute attentive malgré la fatigue accumulée. 

Dans l’exercice libéral, d’autres contraintes s’ajoutent : trajets répétés pour assurer les visites à domicile, longues distances, matériel à transporter, absence de repos garanti entre deux consultations… Autant de facteurs qui fragilisent encore davantage le corps des praticiennes.

Ces conditions de travail denses conduisent à des risques élevés de TMS ou des risques psychosociaux (RPS). 

Des TMS spécifiques au personnel soignant 

 

​Les TMS constituent dès lors une préoccupation majeure pour les professionnels de santé hospitaliers. Malgré une reconnaissance accrue dans le secteur médical, ces pathologies restent insuffisamment documentées scientifiquement chez les sages-femmes. Pourtant, plusieurs indices suggèrent une prévalence significative au sein de cette profession.

Afin d’appréhender ces affections de manière plus large, nous nous référerons au libellé métier (nomenclature FAP) « V1Z – Infirmiers, Sage-femmes », qui englobe ces deux catégories de soignants – partageant des contraintes physiques et organisationnelles – similaires. L’objectif est de mieux comprendre les facteurs de risque communs et les spécificités des TMS au sein de ces professions.

Causes et conséquences

En raison de la charge de travail élevée, de la nécessité de soulever ou déplacer les patients, ou encore de l’exposition prolongée à des postures contraignantes, les infirmiers et sage-femmes sont vulnérables à des pathologies au poignet, coude, dos. Syndrome du canal carpien, tendinite ou lombalgies sont devenus des maladies professionnelles courantes.

L’impact du travail en horaires prolongés est également préoccupant, rythme que l’on retrouve chez une sage-femme. Selon l’INRS, en 2014, les gardes de 12 heures ou plus augmentent le risque d’accidents du travail et de pathologies dorsales.

Une enquête menée en 2021 dans le cadre d’un mémoire de recherche a mis en évidence la prévalence des TMS au sein de cette profession.

Sur 1 453 sages-femmes interrogées, 60 % ont déclaré avoir souffert de TMS au cours de leur vie, et 56,2 % au cours des 12 derniers mois (Occhiminuti, 2022).

Ces chiffres démontrent à quel point cette problématique reste sous-estimée, alors qu’elle impacte directement la santé et la carrière des sages-femmes.

Ces TMS, lorsqu’ils ne sont pas pris en charge précocement, peuvent évoluer vers des formes chroniques et invalidantes. Pour les sages-femmes, ces affections se traduisent souvent par des douleurs persistantes, une diminution des capacités physiques et, dans certains cas, une incapacité temporaire ou définitive à exercer. Malgré ces risques évidents, la prévention des TMS chez les sages-femmes demeure insuffisante. Plusieurs facteurs expliquent cette lacune :

 

  • Une ergonomie inadaptée : l’aménagement des salles d’accouchement et du matériel médical reste centré sur les besoins des patientes, au détriment du confort des soignantes.

 

  • Un manque de formation spécifique : si les gestes techniques sont enseignés durant la formation initiale, peu d’accent est mis sur les bonnes pratiques posturales ou les stratégies de prévention des TMS.

 

  • Une culture du dépassement de soi : dans un métier où l’engagement personnel est fort, il est difficile d’exprimer une douleur ou une fatigue…

À cela s’ajoute une reconnaissance encore trop faible des TMS en tant que maladie professionnelle chez les sages-femmes. Contrairement aux aides-soignants et aux infirmiers, leur exposition aux risques physiques reste moins étudiée, rendant plus difficile la mise en place de dispositifs de compensation ou d’adaptation du poste de travail.

Quelles solutions, quel avenir pour la profession ? 

Face à ce constat, plusieurs pistes d’amélioration peuvent être envisagées :

 

  • Adapter l’ergonomie des salles d’accouchement. Privilégier du mobilier réglable, favoriser des outils facilitant les manipulations des patientes.

 

  • Former continuellement les sages-femmes à la prévention et sensibilisation des des TMS 

 

  • Favoriser des rythmes de travail plus équilibrés. Limiter les gardes trop longues, favoriser des temps de récupération suffisants pour éviter l’épuisement physique et mental.

Si la passion du métier est indéniable, elle ne doit pas se faire au détriment de la santé des sages-femmes. Malgré les défis actuels (sous-effectifs, restrictions budgétaires), il est essentiel de repenser la prévention des risques pour garantir un exercice durable de cette profession.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) alertait en 2021 sur un déficit mondial de 900 000 sages-femmes, soit un tiers des effectifs nécessaires. En France, la profession devrait connaître une croissance d’ici 2050, avant un léger recul des effectifs. Selon la DREES, l’augmentation du nombre de sages-femmes sur cette période (+27 %) devrait permettre de répondre aux besoins en soins des femmes françaises. Cependant, cette projection sous-entend que la densité actuelle de sages-femmes est bien inférieure à ce qu’elle devrait être pour couvrir efficacement la demande.

 Dans ce contexte, améliorer leurs conditions de travail et prévenir les TMS devient un enjeu crucial non seulement pour la santé des professionnel(le)s, mais aussi pour l’avenir de la profession en elle-même.

Chez Moovency, nous accompagnons les professionnels de santé dans la prévention des TMS : Contactez nous ! 

Sources : 

 

Être Sage Femme aujourd’hui – Les sages-femmes à l’horizon 2050 : plus nombreuses et plus libérales ! https://www.etresagefemmeaujourdhui.com/logiciel-sage-femme-liberale/les-sages-femmes-a-lhorizon-2050-plus-nombreuses-et-plus-liberales/ 

Helena Occhiminuti. Les troubles musculo-squelettiques chez les sages-femmes en France : étude épidémiologique. Médecine humaine et pathologie. 2022. ⟨dumas-04085646⟩. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-04085646 

INRS – Organisation du travail en 2x 12h https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=TP%2018 

Profession sage-femme – Le travail de nuit en 12h est populaire mais pas sans risque https://profession-sage-femme.com/le-travail-de-nuit-en-douze-heures-est-populaire-mais-pas-sans-risque/ 

OMS – Un nouveau rapport tire la sonnette d’alarme : il manque 900 000 sages-femmes dans le monde : https://www.who.int/fr/news/item/05-05-2021-new-report-sounds-the-alarm-on-global-shortage-of-900-000-midwives#:~:text=Il%20manque%20actuellement%20900%20000,effectifs%20n%C3%A9cessaires%20au%20niveau%20mondial

Ordre des sages-femmes – Données démographiques de la profession : https://www.ordre-sages-femmes.fr/etre-sage-femme/donnees-demographiques-de-la-profession/ 

Santé Gouv – Fiche Métier Sage-femme : https://sante.gouv.fr/archives/archives-metiers-et-concours/les-fiches-metiers/sages-femmes/

Autres articles