Intérimaires et TMS : sont-ils plus exposés à ces risques ?
Les TMS représentent aujourd’hui la première cause de maladies professionnelles en France. Et ils n’épargnent aucun secteur d’activité – qu’il soit primaire, secondaire ou tertiaire. Parmi les travailleurs concernés figure une population souvent moins visible, mais fortement sollicitée physiquement : les intérimaires. Enchaînant des missions courtes, souvent dans des postes exigeants, ils interviennent là où les besoins sont les plus urgents… et parfois les plus risqués. Dès lors, une question se pose : les travailleurs intérimaires sont-ils plus exposés aux TMS en raison de la nature même de leur statut ?
Cette interrogation s’impose d’autant plus que les intérimaires occupent une place importante dans les secteurs les plus physiques, mais restent souvent en marge des politiques de prévention en entreprise.
Le travail intérimaire en France : tour d’horizon
L’intérim : définition
L’intérim, aussi appelé travail intérimaire ou travail temporaire consiste à mettre à disposition provisoire d’entreprises clientes, des salariés, qui en fonction d’une rémunération convenue, sont embauchés et rémunérés à cet effet par l’entreprise de travail temporaire (ETT). (Source : INSEE)
L’intérim se caractérise donc par une relation triangulaire entre : l’entreprise de travail temporaire, l’entreprise utilisatrice (cliente) et le salarié. Cela implique la conclusion de deux contrats : un contrat de mise à disposition et un contrat de mission.

L’intérim : quelques chiffres clés
Pour mieux comprendre les enjeux de santé au travail dans l’intérim, il est utile de commencer par un rapide aperçu chiffré du secteur.
d’intérimaires recensés en 2023
- 65 % des intérimaires sont des hommes.
- 76 % des postes occupés correspondent à des emplois d’ouvriers qualifiés ou non qualifiés.
- 61 % des intérimaires ont entre 18-34 ans, ce qui en fait une population relativement jeune.
D’après les données de l’Observatoire de l’Intérim, les secteurs employant le plus d’intérimaires en équivalent temps plein (ETP) sont principalement ceux où la pénibilité physique est importante. Voici les plus représentatifs selon la nomenclature (NAF 700) :
- Activités des agences de travail temporaire : près de 55 000 ETP, en lien direct avec la gestion des missions.
- Entreposage et stockage non frigorifique : environ 37 000 ETP.
- Travaux de maçonnerie générale et gros œuvre du bâtiment : plus de 24 000 ETP.
- Activités de poste dans le cadre d’une obligation de service universel, installation électrique, construction de bâtiments : entre 16 000 et 18 000 ETP chacun.
- Transport routier, messagerie, collecte des déchets, construction de routes, ou encore grande distribution (hypermarchés) : entre 10 000 et 13 000 ETP chacun.
Ces chiffres confirment la forte présence des intérimaires dans des secteurs exposés à la manutention, aux gestes répétitifs et aux postures contraignantes, pouvant être propices à l’apparition des TMS.
Quels facteurs de risque spécifiques aux intérimaires ?
Au-delà d’une forte présence dans les secteurs physiquement exigeants, les intérimaires cumulent plusieurs caractéristiques qui les rendent particulièrement vulnérables face aux TMS. Ces risques ne tiennent pas qu’uniquement du poste occupé, mais sont aussi liés à des facteurs organisationnels.
- Une moindre formation à la sécurité et aux gestes appropriés : Selon l’urgence et la brièveté de la mission, les intérimaires reçoivent moins fréquemment une formation spécifique aux risques du poste. Bien que la prévention relève d’une responsabilité partagée entre l’entreprise de travail temporaire (ETT) et l’entreprise cliente, des défauts d’accueil ou d’intégration peuvent survenir par manque de temps ou de coordination.
- Moins de familiarité avec le poste de travail ou les outils utilisés : les intérimaires peuvent arriver dans un environnement de travail mal maîtrisé, sans connaître l’ensemble des outils utilisés ni la culture de l’entreprise. Cette position de “nouvel arrivant” peut accroître le risque de gestes inadaptés, de postures contraignantes ou d’erreurs de manipulation.
- Des changements réguliers de poste au cours de la mission : il n’est pas rare qu’un intérimaire soit amené à changer de tâche en cours de mission, parfois sans lien avec son affectation initiale. Ces réaffectations non anticipées peuvent générer du stress, de la confusion, voire des accidents du travail (AT) et s’ajouter à d’autres facteurs de risque des TMS.
- Pas ou peu de suivi médical personnalisé, en particulier quand les missions s’enchaînent. De plus, certains peuvent ne pas oser déclarer certains troubles, par crainte de perdre des opportunités de mission. L’insécurité de l’emploi peut ainsi conduire à une sous-déclaration des douleurs et pathologies, empêchant une détection précoce des TMS.
Intérimaires et TMS : quelle prévalence ?
Si plusieurs facteurs laissent penser que les intérimaires sont autant voire davantage exposés aux TMS, les résultats des études menées sur le sujet restent nuancés. Les constats varient selon les approches méthodologiques, les secteurs d’activité observés et les indicateurs pris en compte (accidents du travail, déclarations de douleurs, maladies professionnelles reconnues…).
Des indicateurs de sinistralité globalement élevés
Les données issues de plusieurs CARSAT régionales confirment que les intérimaires présentent des taux d’accidents du travail et de maladies professionnelles nettement importants.
Pays de la Loire :
Le rapport de la CARSAT Pays de la Loire (2022) montre que les intérimaires de la région présentent des taux d’accidents du travail supérieurs à ceux des salariés permanents, notamment dans les secteurs du BTP et de la logistique.
Sur les maladies professionnelles, près de 95% d’entre elles dans l’intérim sont des TMS.
Hauts-de-France :
Dans cette région historiquement industrielle, la CARSAT Hauts-de-France souligne l’importance des enjeux humains et sociaux associés à l’intérim :
En 2018, elle a recensé 148 accidents du travail par jour impliquant des intérimaires, soit près de 4 millions de jours d’arrêt.1 200 maladies professionnelles ont été reconnues cette année-là, en hausse de 44 % par rapport à 2017, et 89 intérimaires ont perdu la vie.
Bretagne :
Selon la CARSAT Bretagne, les intérimaires représentaient en 2023 seulement 4,5 % des effectifs salariés bretons, mais concentrent 11 % des accidents du travail déclarés. Cette surreprésentation illustre un déséquilibre structurel entre la part des intérimaires et leur exposition aux risques.
Des données nationales tout aussi révélatrices
Le rapport 2016 de l’Observatoire de l’Intérim et du Recrutement (OIR) met en évidence une sinistralité particulièrement marquée dans le secteur :
- 41 501 accidents du travail ont été recensé, dont 41 décès.
- 644 maladies professionnelles reconnues, dont 91 % sont des affections périarticulaires – c’est-à-dire directement liées aux TMS.
- La manutention manuelle est la première cause des accidents (56 %), suivie des chutes de plain-pied (10 %) et des chutes de hauteur (9 %).
Ces chiffres traduisent une réalité physique accrue: les intérimaires sont au cœur des métiers à risque, et les TMS en représentent la principale conséquence chronique.
Des douleurs plus fréquentes… mais des causes multiples
L’étude menée par Santé Publique France et publiée dans le Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire (2020) apporte des nuances importantes : cette étude a analysé des consultations en médecine du travail entre 2009 et 2014 pour comparer les maladies à caractère professionnel (MCP) entre intérimaires et salariés en CDI.
Sur un échantillon de 370064 salariés, dont 6,2 % d’intérimaires, les résultats montrent que :
- Les mouvements répétitifs sont plus souvent signalés comme facteurs d’exposition chez les intérimaires. Pourtant, aucune association n’est statistiquement établie entre le statut d’intérimaire et les TMS de la main/poignet, de l’épaule ou du coude.
- Les TMS du rachis sont même moins fréquents chez les intérimaires, ce qui pourrait s’expliquer par un effet « travailleur sain ».
- Enfin, la souffrance psychique liée au travail est également moins déclarée chez les intérimaires. Cela pourrait s’expliquer par une sous-déclaration lors des visites d’embauche, majoritaires dans cette population. Mais aussi par une insécurité de l’emploi, dissuadant d’exprimer des problèmes de santé.
Un risque réel mais sous-estimé ?
Les études nationales et régionales mettent en lumière une réalité contrastée : les intérimaires ne sont pas toujours surreprésentés dans les statistiques de TMS reconnus, mais cette sous-représentation apparente peut cacher une exposition bien réelle.
La brièveté des missions, la fragmentation des parcours professionnels, le manque de suivi médical à long-terme, un effet de travailleur sain* ou encore la crainte de perdre une mission peuvent conduire à une sous-déclaration ou une non-reconnaissance des TMS.
En somme, si les statistiques ne montrent pas toujours une surreprésentation des TMS chez les intérimaires, les conditions de travail, les témoignages de terrain et les facteurs organisationnels convergent vers un risque bien réel, mais en partie invisible.
*Effet de travailleur sain : type de biais qui se produit dans les études épidémiologiques lorsque les populations actives sont en meilleure santé que la population générale, ce qui entraîne une sous-estimation des risques pour la santé associés aux expositions professionnelles. Ce phénomène est dû au fait que les personnes malades ou handicapées sont moins susceptibles d’occuper un emploi, ce qui fait que la population active est généralement en meilleure santé que les personnes qui ne travaillent pas. (Source : Fiveable)
Prévenir les TMS chez les intérimaires
Une responsabilité partagée
Face à ces constats, la prévention des TMS chez les intérimaires doit être considérée comme un enjeu de santé publique. Cette population exposée nécessite des mesures spécifiques et adaptées dès l’amont du risque : c’est l’objectif de la prévention primaire.
Vous souhaitez en savoir plus sur les différents niveaux de prévention ? Consultez notre article dédié : https://moovency.com/prevenir-les-tms-agir-sur-les-trois-niveaux/
L’obligation de prévention des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs intérimaires incombe tant à l’entreprise utilisatrice qu’à l’entreprise de travail temporaire.
- L’entreprise utilisatrice doit assurer l’accueil sécurité, l’adaptation du poste, et intégrer l’intérimaire à ses dispositifs de prévention internes.
- L’entreprise de travail temporaire doit informer le salarié des risques connus et lui fournir les équipements de protection adaptés.
Et l’intérimaire lui-même, doit également assurer sa propre sécurité et ne pas hésiter à communiquer sur d’éventuelles situations à risques et/ou inconforts rencontrés liés à sa prise de poste, aux deux autres acteurs du contrat.
Une avancée réglementaire récente va dans le bon sens : Depuis le décret du 5 juillet 2024, les coûts des AT/MP sont désormais partagés entre agences d’intérim et entreprises utilisatrices. Ce dispositif incite clairement ces dernières à prendre davantage leurs responsabilités en matière de prévention.
Des leviers d’actions à renforcer
Plusieurs leviers peuvent pourtant être mobilisés pour agir concrètement :
- Accentuer les visites préalables des agences d’emploi dans les entreprises utilisatrices. Notamment sur les postes à forte contrainte physique, pour adapter au mieux les recrutements et former en amont.
- Un accueil sécurité renforcé, incluant briefing initial et démonstration des gestes techniques.
- Renforcement du suivi médical, notamment pour les missions longues ou répétées, afin d’éviter la rupture de traçabilité.

Intégrer les intérimaires dans la culture de prévention
Cela passe par aussi par valoriser leur retour terrain (souvent plus lucides sur les points de tension) et l’adoption d’ une approche inclusive de la prévention, qui dépasse les statuts contractuels.
Prévenir les TMS chez les intérimaires n’est pas uniquement une affaire de conformité réglementaire. C’est aussi garantir une équité de traitement face au risque professionnel et améliorer la santé globale de tous les travailleurs, quels que soient leur statut ou la durée de leur mission…
Sources :
- CARSAT BRETAGNE – Accident grave intérimaire : une tarification du taux AT-MP qui engage la responsabilité des entreprise utilisatrices https://www.carsat-bretagne.fr/home/entreprises/ctr-instances-paritaires/les-actus-ctr/toutes-les-actualites-ctr/toutes%20les%20actualites/accident-grave-interimaire–une-tarification-du-taux-at-mp-qui-engage-la-responsabilite-des-entreprise-utilisatrices.details-actualite.html
- CARSAT HAUTS-DE-FRANCE – AGENCES D’EMPLOI-ENTREPRISES DE TRAVAIL TEMPORAIRE : AGIR EN PRÉVENTION DANS L’INTÉRIM https://www.carsat-hdf.fr/files/live/sites/carsat-hdf/files/PDF/entreprises/Documentation/3-%20Guides%20de%20pr%C3%A9vention/Int%C3%A9rim/CarsatHdF-Interim_AgenceEmploi.pdf
- CARSAT PAYS DE LA LOIRE – SINISTRALITÉ AU TRAVAIL DANS L’INTÉRIM EN PAYS DE LA LOIRE 2020 https://www.carsat-pl.fr/files/live/sites/carsat-pl/files/pdf/entreprises/sinistralite-interim-2022.pdf
- FIVEABLE – Healthy Work Effect, key term : https://library.fiveable.me/key-terms/introduction-epidemiology/healthy-worker-effect
- INSEE – Définition Intérim / Travail temporaire / Travail intérimaire : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1669
- LEGIFRANCE – Décret n° 2024-723 du 5 juillet 2024 relatif à l’imputation du coût des accidents du travail et des maladies professionnelles des salariés des entreprises de travail temporaire
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049892022 - Rivière S, Tassy V, Bonmarin I, Chatelot J. Maladies à caractère professionnel chez les intérimaires en France entre 2009 et 2014. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(27):524-30. https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/27/2020_27_1.html
- OBSERVATOIRE INTERIM – Les chiffres des accidents du travail et des maladies professionnelles, synthèse 2016 : https://observatoire-interim-recrutement.fr/article/chiffres-atmp
- PREVENTION BTP – https://www.preventionbtp.fr/actualites/tendances/un-risque-de-maladies-liees-au-travail-moins-eleve-chez-les-interimaires_BoECiYdYXabAMiyXVspPUJ
- TRAVAIL & SÉCURITÉ – Les salariés intérimaires, une population plus exposée et plus vulnérable : https://www.travail-et-securite.fr/ts/849/DOS/les-salaries-interimaires/une-population-plus-exposee-et-plus-vulnerable.html
